Sira
 

L'écrit de la Sîra - 2ème Partie

La sîra d’un point de vue historique

D’un côté les spécificités biographiques de la sîra et de l’autre le fait que la vie du Prophète Muhammad (saw). constitue une des étapes les plus importantes de l’histoire du monde, nous nous devons d’évaluer l’écrit de la sîra d’un point de vue historique.

Malgré que nous sachions que, les textes constituant les sources de la sîra ont été compilés en majeure partie par les dires des témoins proches, les textes qui sont parvenus à nos jours sont des recueils qui ont été fait plus tard. Les diverses transmissions de ces recueils nous démontrent qu’il n’y a pas eu de mise en place d’une méthode d’une qualité telle que dans la littérature du hadith à propos de la transmission, de la classification et de la validité des textes. Le fait que les premiers transmetteurs ont peut-être raconté des événements d’une manière rhétorique, qui ont été transmis par la suite mot à mot comme si c’était la vérité, a conduit à avoir une richesse de textes importante quant à la vie du Prophète (saw). Dans ce cadre, il nous paraît compréhensible que ce type de narration, se trouvant dans la littérature Arabe où les récits poétiques et les analogies littéraires sont répandus, s’est infiltré dans la sîra comparativement aux domaines du Coran et du hadith, où des règles beaucoup plus rigides sont influentes. En effet, nous savons que la première forme de l’histoire Arabe qu’est le récit des filiations ainsi que les contes d’Ayyam’ul-Arab étaient répandus pendant les premières périodes de l’Islam. (1) Par contre, ces genres de récits étant certainement remplis d’exagérations, ont été la cause, par le temps, de fortes critiques. Par exemple, même la plus ancienne source de sîra qui nous est parvenue aujourd’hui qu’est le livre d’Ibn Hisham est apparu à la suite de la prise en considération de ces critiques et du filtrage de l’œuvre d’Ibn Ishaq.

Un des problèmes que nous retrouvons dans l’écrit de la sîra, du point de vue de la discipline de l’histoire, est le principe de « neutralité » qui est difficile à appliquer dans la sîra.

Un des problèmes que nous retrouvons dans l’écrit de la sîra, du point de vue de la discipline de l’histoire, est le principe de « neutralité » qui est difficile à appliquer dans la sîra. Au nom d’éclaircir le sujet, il faut tout d’abord s’interroger à nouveau sur le principe de neutralité. Ensuite, il faut démontrer pourquoi lorsqu’il s’agit de la sîra il est tellement difficile d’appliquer ce principe. Les premiers textes qui ont été corrigés par Ibn Hisham, malgré toutes les critiques, restent bien simples à côté de la richesse des textes qui vont être transmis plus tard. En effet, plus tard les querelles de prophéties, les infiltrations des cultures différentes, l’élargissement de la littérature des Hadiths, la compilation de livres sur les sabab-i nouzouls (les causes des révélations), l’augmentation des données des livres des filiations pouvant être utilisés par la sîra, le fait de donner de la place à la sîra dans les livres d’histoire général ainsi que l’attrait dans les milieux soufis pour la tradition des contes et des récits, ont modifié la langue et le style de la sîra et, ils ont été la cause de l’augmentation sérieuse de son matériel. (2) L’historien belge Leon Halkin vient à l’encontre de la thèse  de Fenelon (1651-1715) affirmant qu’un bon historien ne doit appartenir à « aucune époque et à aucun pays » en soutenant que ceci est impossible et que c’est même un souhait en dehors de toute raison. Il souligne le fait que toute personne appartient à un milieu qui nous transmet des fois sans même s’en rendre compte, ses valeurs morales et ses choix politiques, ainsi que même les historiens les plus indépendants ne peuvent s’enfuir de cet héritage qu’est la vie elle-même, le rejet de cet héritage constituant une injustice envers le milieu qui les a formés. Et, il donne le jugement que « l’homme, malgré lui-même, peut avoir une tendance sans être partisan ». (3) En effet avec les dires de Halkin, même l’historien le plus impartial reste toujours l’homme de son époque et de son pays.

Par conséquent dans l’écrit de la sîra, alors qu’il est même difficile à appliquer en temps normal, à quel degré peut-être valide « le principe de neutralité » caché dans un cadre de style bien précis ?

Nous remarquons que, lorsqu’il s’agit de la sîra, les critères de style valide pour la discipline de l’histoire sont forcément la cause de rupture. Car, avant toute chose, elle prend en main un personnage historique annonçant recevoir un message d’un monde que nous ne pouvons sentir avec nos sens et que nous ne pouvons imaginer avec notre esprit. De plus, nous utilisons des transmissions de personnes croyantes au message de ce personnage. Dans cette évaluation, le fait de croire ou pas à la prophétie de Muhammad (saw). (par le fait d’écrire (saw). nous exprimons en fait notre parti) est un critère très important que nous retrouvons. En lisant sa vie, qu’on le veuille ou non les croyances religieuses du lecteur vont se mélanger avec la lecture faite. En conséquence, la sîra est un milieu où, elle introduit elle-même une subjectivité naturelle entre la croyance et l’incroyance. Dans ce cadre, le fait que l’auteur montre parfois d’une manière nette son parti peut même augmenter la valeur du travail fourni.

L’influence de la croyance dans les travaux de la sîra, peut pénétrer plus profondément que notre estimation : surtout dans les rapports cause-effet des événements historiques. Carr dit que, la recherche historique, est « la recherche des causes » et que l’historien se doit de se poser sans cesse la question « pourquoi » ; il rajoute aussi que du moment qu’il espère trouver une réponse, il se doit de ne pas s’arrêter. Effectivement, l’historien veut savoir le « pourquoi » et le « comment ». Et ce désir, peut être atteint en pénétrant dans les relations entre les faits.(4) Même si, l’interrogation philosophique d’un monde fondé sur les relations de cause à effet, se fait depuis David Hume au final, il nous paraît raisonnable d’accepter cette seule approche logique que nous avons sous la main.

En conséquence, la sîra est un milieu où, elle introduit elle-même une subjectivité naturelle entre la croyance et la non-croyance.

C’est pourquoi, l’objectivité, ne peut demeurer qu’en tant qu’un objectif partiel pour un historien étant à la recherche de la vérité. « L’historien est en quête de montrer les faits comme ils se sont produit et d’éclaircir ceux-ci, sans ajouter ses propres commentaires subjectifs, à notre temps. Mais, l’objectivité totale tout comme l’impartialité totale s’est gardées de lui. (5) Une admission relative à la croyance force à une certaine concession au niveau des principes d’objectivité et de partialité dans l’écrit de la sîra. Malgré ceci, « l’historien se doit de ne cesser de rechercher le plus d’objectivité possible. Pour l’historien, la question du contrôle des témoins et des commentaires, doit être une tâche sans fin, malgré les analyses à répétition. (6) Par contre, une interrogation faite à propos de la relation cause à effet au sujet de la sîra se révèle comme un problème. Car, une personne croyante au prophète Muhammad (saw), ne s’interrogera pas à propos des causes de la vie du prophète (saw)  telles que dans les autres sciences humaines. Pour le croyant, il est question d’une intervention divine propre à cette époque ainsi, dans ce cadre, au lieu de s’interroger sur les causes, il se mettra plutôt à la recherche des sagesses cachées. Lorsqu’il s’agit de la sîra, nous ne pouvons-nous éloigner de former une liaison entre la chaine des événements historiques unie entre eux, un prophète ayant des relations avec l’au-delà et sa situation extraordinaire. Et, sans nous en rendre compte, nous analysons ses évènements d’après nos jugements installés dans nos domaines de croyance. L’histoire, travaillée intensément par les historiens et les philosophes de l’histoire dont la thèse est « d’organiser les évènements passés par ordre de cause à effet d’une manière ordonnée et consécutive », ne peut être appliquée facilement lorsqu’il s’agit de la sîra et surtout quand il croit au message de la personne qu’il étudie.

L’influence de la question de la croyance dans le domaine de la sîra, ne paraît pas être limitée à l’impartialité. Dans ce cadre, ce sujet s’est infecté par les approches des absolutistes (ceux qui essayent de juger les actes historiques avec les valeurs de leur époque) et des actualistes (ceux qui donnent de la valeur aux actes historiques en fonction de leur situation actuelle) en faisant des études de la sîra l’objet de critiques. (7)

Il ne faut pas chercher d’excuses aux critiques des absolutistes dont la description a été faite plus haut. Car, juger l’histoire avec une actualité moderne et variante est un état d’âme malade apportant avec lui des illusions sérieuses. Les travaux orientalistes, ont jugés l’histoire de l’Islam avec un regard nécessaire à l’actualité politique (colonialisme) étant en arrière-plan de ces travaux. Nous comprenons mieux aujourd’hui à quel point ces travaux ont apporté une compréhension historique faussée et à quel point cette mentalité a influencé profondément l’esprit du monde occidental. Nous remarquons qu’une maladie semblable est portée par certains chercheurs musulmans modernes.

À côté de ceci, une partie des approches absolutistes résulte de l’orientation plus tardive, d’une manière systématique à un sujet étudié afin de trouver du matériel du passé. De l’économie jusqu’à la science politique, de la physique jusqu’à la psychologie, dans plusieurs domaines les sujets étudiés plus tardivement ont été systématiquement le sujet de curiosité afin de trouver leur équivalent dans le passé. Nous pouvons évaluer dans ces sujets, à partir des travaux effectués systématiquement dans les derniers temps, qu’interroger à nouveau un fait du passé constitue le côté le plus innocent de l’absolutisme.

D’un autre côté, une approche beaucoup plus dangereuse, essayant à l’aide de ses travaux, de démontrer que les idéaux dominants et d’une certaine manière approuvés de nos jours ont été en fait innover par le Prophète (saw). Ces travaux pouvant arriver à un point d’apologie, sont en vogue dans le monde scientifique, surement due au fait qu’ils utilisent la plupart du temps le principe d’impartialité d’une manière convenable. Ces approches, essayant de justifier les conclusions de ces types de thèses auxquelles elles croient, se tournent vers la vie du Prophète (saw), tout en falsifiant d’une manière sérieuse l’histoire.

D’un autre côté, l’approche essayant de trouver des réponses aux problèmes d’aujourd’hui avec le passé est le sujet de critiques dans l’étude de la sîra. C’est une situation que nous retrouvons fréquemment dans les études de la sîra faites par des chercheurs croyants au message du Prophète. En réalité, il ne faut pas trop critiquer cette situation. Car, c’est le présent qui éclaircit le passé. Il est important de « comprendre le présent avec le passé ».

La science de la sîra, nous apparaît comme une discipline dépassant largement la biographie d’un personnage et donnant un message à l’humanité : Il n’est pas possible de prendre en main le Prophète Muhammad (saw) en tant que personnage historique seulement.

En effet, la science de la sîra, nous apparaît comme une discipline dépassant largement la biographie d’un personnage et donnant un message à l’humanité : il n’est pas possible de prendre en main le Prophète Muhammad (saw). en tant que personnage historique seulement. Nous devons souligner le fait que la sîra comporte un côté dépassant les deux caractères incontestables de ce qui est « historique » qui est le temps et l’espace. Naturellement, faire ressortir de la sîra un message « illuminant le présent » n’est pas très facile et, il faut que les résultats obtenus soient lus et évalués correctement. Faire ressortir quelque chose de nouveau dans le domaine de la sîra, qui est une science contenant des matériaux et des sources bien définis, passe en fait par une compréhension nouvelle de l’histoire à travers les conditions et l’actualité changeantes. Face aux changements du progrès social, les personnes ne voulant pas mettre en confrontation leur vie religieuse et temporelle demandent des solutions à leurs problèmes à travers la vie du Prophète (saw). De ce point de vue, il est naturel qu’il y ait des études cherchant des réponses à ces demandes. Car, la sîra comporte un côté regardant à notre époque. Lorsque nous faisons attention au fait que l’Islam est le dernier maillon de la chaîne de la compréhension de l’unicité venant depuis Adam, il est naturel que la vie d’un Prophète qui est un modèle, ainsi que l’invitation qu’il a faite à l’humanité soit reprise à nouveau en main face aux temps et aux conditions changeants. L’histoire, qui a pour signification la prise en main de cette situation en question, avec une approche « actualiste » forme un problème du point de vue de la méthodologie de l’histoire. Ceci, est inévitable pour la sîra.

En résumé, les critiques et les évaluations dirigées vers la sîra, démontrent qu’il est crucial de déceler certains principes spécifiques à la sîra.

Pourquoi la sîra s’écrit à nouveau ? Propriété de l’intérêt ressenti envers la vie du Prophète (saw).

L’essence du modèle de la personnalité de Muhammad (saw). est la cause principale de la reprise en main de la sîra par les différentes générations. C’est en fait, ce modèle qui amène les approches actualistes que nous avons citées plus haut à se tourner vers la sîra afin de résoudre les problèmes de nos jours.

Dans la préface du livre, le Prophète de l’Islam de Muhammad Hamidoullah nous donne des réponses à la question, pourquoi avons-nous besoin des études de la sîra ? Et, il nous résume les motifs de ce besoin. Cette question, trouve en partie des réponses telles que le fait que la place du Prophète ne peut être comblée par autrui, qu’il continue à vivre dans nos esprits, qu’il mérite plus que n’importe quelle personne d’être connu. De plus, la nécessité de connaître Muhammad (saw), surtout chez les Musulmans dépend du fait que sans connaître sa voie, le Musulman ne peut pratiquer pleinement sa religion et suivre la sounna du Prophète Muhammad (saw).(8)

Même si, la connaissance du Prophète paraît comme être la cause principale des œuvres de la sîra, plus l’époque du Prophète s’éloigne, plus l’envie de se rapprocher du Prophète devient une force propulsive dans les écrits de la sîra. Cette envie de rapprochement a été formée à nouveau à chaque époque avec ses moyens et son niveau de perception. De ce fait, de temps à autre des tests de nouvelles méthodes (utilisation des sources, comparaison avec les hadiths et le Coran, aptitude à la raison, etc.), ou l’objectif de trier les sources a été influent dans l’écrit de la sîra. Également de temps à autre, la portraiturassions du Prophète (saw) (sauveur, guerrier, homme d’état, génie, etc.), l’essai avec un style populaire actuel (poétique, logique, etc.), le fait de s’adresser à un différend secteur (populaire, académique, réponse à l’occident) a formé le motif d’un renouveau dans l’écrit de la sîra. Par exemple, dans le monde Musulman où le doute, l’hésitation, la demande de changement a augmenté dans le XIXème siècle, les mouvements (résistant, spiritualiste, Salafi etc.) luttant contre le modernisme, l’impérialisme, l’orientalisme et comme le rationalisme, ont directement influencé l’écrit de la sîra. Les œuvres écris pendant cette période, ont considérablement diminué le sujet des miracles par rapport aux livres écris un ou deux siècles avant où ce sujet était courant, des commentaires et des explications plus rationnels sont apparus, le Prophète Muhammad (saw) a été mis en avant avec davantage ses spécificités humaines. De même, dans la ligne des discussions sur le dialogue entre les religions et la tolérance en vogue dans les périodes suivantes, la sira s’est développée un discours conforme à la conjoncture en mettant en avant les sujets tel que les relations du Prophète avec les non musulmans.

Plus l’époque du Prophète Muhammad (saw) s’éloigne, plus l’envie de se rapprocher du Prophète devient une force propulsive dans les écrits de la sîra.

Pendant de longs siècles, le Prophète (saw). a été le sujet de nombreuses biographies, dans la littérature aussi, il a été le sujet de beaucoup de variétés. Dans la littérature, beaucoup de styles littéraires ont été développé afin de raconter le Prophète Muhammad (saw) comme : la sîra, mawloud (la naissance), moujizât-i nabî (les miracles), naat (poèmes), dalâil, asmâ-i nabî (les noms), awsaf-i nabî (les qualités), miraciyya (l’ascension), raḡaibiyya (la nuit de sa naissance), maḡâzi, shamail, récit sur l’hégire, récit sur ses vertus.

 


(1) Sabri Hizmetli, İslâm Tarihçiliği Üzerine, Ankara 1991, p. 37-9.

(2) Mehmet Özdemir, “Siyer Yazıcılığı Üzerine”, p. 134-5.

(3) Leon – E. Halkin, Tarih Tenkidinin Unsurları, trad. Bahaeddin Yediyıldız, Ankara 1989, p. 12.

(4) E.H. Carr, Tarih Nedir, İstanbul 1987, p. 115.

(5) Halkin, p. 13.

(6) Halkin, p. 13.

(7) Ahmet Davutoğlu, “Tarih İdraki Oluşumunda Metodolojinin Rolü: Medeniyetler arası Etkileşim Açısından Dünya Tarihi ve Osmanlı” Dîvân İlmî Araştırmalar, numéro 7, İstanbul 1999.

(8) Muhammed Hamidullah, İslâm Peygamberi, İstanbul 1995, I, p. 3-6.

 

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